Créer une joint-venture au Qatar

Créer une joint-venture au Qatar

L’Association of Corporate Counsel et le cabinet d’avocats Lalive ont organisé, le 16 juin à Doha, un petit-déjeuner conférence sur le thème des co-entreprises (« joint-ventures »)*. Ce fut l’opportunité pour des directeurs juridiques et des managers d’entreprises basés au Qatar, appartenant à différents secteurs de l’industrie, de faire le point sur les problématiques spécifiques aux joint-ventures,  et d’échanger sur leurs expériences.

Cet entretien avec Maîtres Georges Racine et Melina Llodra  est l’occasion de revenir sur certains points développés pendant le séminaire.

Qatar Actu : Pouvez-vous présenter en quelques mots le cabinet Lalive et en particulier votre présence au Qatar ?

Cabinet Lalive : LALIVE est une étude d’avocats internationale et indépendante basée en Suisse, avec des bureaux à Genève et Zurich, ainsi qu’à Doha Qatar Actu Melida(LALIVE IN QATAR LLC).

L´Étude compte parmi ses clients des sociétés du monde entier. Elle est particulièrement renommée pour sa pratique internationale.

Le cabinet a une très longue expérience du Moyen-Orient. Certaines des causes d’arbitrage dans lesquelles ses équipes ont été impliquées remontent à plusieurs décennies et continuent de figurer parmi les causes les plus célèbres dans le domaine (par exemple, Sapphire c. République islamique d’Iran, Texaco et Calastatic c. Libye, Aminoil c. Etat du Koweït). Elle fut la première étude d’Europe continentale à ouvrir un bureau au Qatar.

En tant qu’étude enregistrée auprès du Qatar Financial Centre (QFC), le cabinet Lalive (via LALIVE IN QATAR LLC) est autorisé à se pencher sur des contrats ou litiges régis par le droit qatari. À cet égard, l’étude comporte plusieurs avocats parlant l’arabe.

Qatar Actu : Quel que soit le pays concerné, comment choisir la structure pertinente de joint-venture ?

Cabinet Lalive : Ce choix doit être analysé en amont du projet envisagé par les deux partenaires. Il sera dicté par les objectifs des parties et devra tenir compte des contraintes juridiques locales. L’option au Qatar ou à l’étranger consiste le plus souvent entre, d’une part, la joint-venture sous forme de société en participation et, d’autre part, la joint-venture qui donne lieu à une immatriculation (ou « incorporation » dans les juridictions de système anglo-saxon).

Les partenaires d’une société en participation conservent leur indépendance et leur responsabilité propre et entière, tout en bénéficiant d’une grande flexibilité opérationnelle avec très peu de formalités à la clef. Si cette structure est simple, elle peut toutefois comporter des risques, notamment parce que la responsabilité des partenaires sera le plus souvent illimitée.

L’exemple topique est l’accord de consortium, très fréquent dans la réalisation de projets du secteur pétrolier ou gazier ou du secteur de la construction.

Par contraste, l’immatriculation d’une joint-venture sous la forme d’une nouvelle entité juridique entraîne la création d’une personnalité juridique distincte, assortie d’une responsabilité limitée aux apports des parties. Bien sûr, la création d’une telle société génère des coûts et des formalités. Par ricochet, un cadre juridique très spécifique en fonction du type de société choisi vient définir les règles du jeu pour l’entreprise, les actionnaires et les tiers.

Qatar Actu : Quels facteurs faut-il considérer dans le choix d’une entreprise conjointe par rapport à l’autre ?

Cabinet Lalive : Il peut s’agir de contraintes réglementaires. Par exemple, au Qatar, le niveau de participation des investisseurs étrangers est plafonné à hauteur de 49 % dans le cas d’une société unipersonnelle (SPC), d’une société à responsabilité limitée (LLC) ou d’une société par actions (QSC) créée en vertu du droit commun (Loi No. 5 de 2002 telle que modifiée). Des exceptions sont toutefois prévues dans la Loi sur l’investissement étranger pour certains domaines d’activités ainsi que pour les sociétés où l’un des actionnaires est le gouvernement qatari ou une entité liée à celui-ci.

Les partenaires peuvent aussi préférer créer une nouvelle structure juridique pour que les risques juridiques et financiers liés à leurs projets soient cantonnés au sein de la société elle-même, et ainsi éviter la mise en cause de leur responsabilité illimitée (« solidaire et indivisible » ou « joint and several »).

Si, en revanche, le partenariat est limité à un seul projet avec un partenaire de confiance, la mise en place d’un accord de consortium peut s’avérer la voie la plus simple et la plus rapide.

Enfin, l’existence d’incitations ou de subventions à l’investissement (si vous créez une société dans une zone franche à Doha ou Dubaï, par exemple) et les implications sur le plan fiscal sont des éléments fondamentaux à prendre en compte dans le processus de prise de décision des partenaires. À titre d’exemple, une société unipersonnelle (SPC) ou une société à responsabilité limitée (LLC) créée en vertu des règles de la zone franche du Qatar Science & Technology Park (QSTP) (Qatar Science & Technology Park Free Zone Regulations (Schedule A – Company Regulations) ne sont pas astreintes aux mêmes conditions. Il en est de même pour les sociétés créées en vertu des règles du Qatar Financial Centre (QFC), même si ce dernier n’offre pas de zone franche en tant que telle.

Qatar Actu : Une fois que les partenaires ont décidé de s’associer, quelles sont vos recommandations sur l’opportunité de documenter ou non les bases de leur accord de principe ?

Cabinet Lalive : C‘est la problématique classique des lettres d’intention (« Letter of Intent », « MOU », « Heads of Agreement », Heads of Terms », etc.).

Au Qatar, ces accords préliminaires sont reconnus par le code civil (à l’instar du droit français) ainsi que par les « QFC Contract Regulations ». Ainsi, chacune des parties n’est pas responsable envers l’autre de l’interruption des négociations, sauf mauvaise foi ou dispositions contraires prévues dans l’acte juridique.

La rédaction des lettres d’intention est un exercice plus délicat qu’il n’y paraît et recèle de nombreuses chausse-trappes : l’emploi de la formule « subject to contract » n’est pas la panacée…

L’accord dans son ensemble ou non aura-t-il force obligatoire (« binding ») ou non ? Ou seulement certaines clauses portant sur la confidentialité des informations échangées, le droit applicable, le règlement des différends, la répartition des coûts, les droits de propriété intellectuelle, l’exclusivité des relations entre les partenaires, etc. ?

Qatar Actu : Quels conseils pouvez-vous donner en ce qui concerne l’engagement de non-concurrence entre les partenaires d’une joint-venture ?

Cabinet Lalive : Chaque partenaire doit se poser un certain nombre de questions avant de rédiger une clause de non-concurrence : quel périmètre (affaires actuelles et futures de la JV) faut-il couvrir, quel territoire faut-il protéger, quelle durée faut-il prévoir (y compris après la fin de la relation d’affaires) et quelles entités de chaque partenaire faut-il viser ?

Qatar Actu : La propriété intellectuelle est un sujet à part entière. Pouvez-vous revenir sur deux ou trois recommandations essentielles ?

Cabinet Lalive : Il est fondamental de clarifier quels droits de propriété intellectuelle sont mis en commun par les partenaires (un apport ou une licence ?), le sort des développements conjoints et les droits de chaque partenaire pendant et à la fin de la relation de joint-venture. La rédaction de clauses reflétant l’intention des parties suscite souvent beaucoup de discussions.

Qatar Actu : Une autre problématique concerne la question du contrôle de la joint-venture. Que préconisez-vous, le statut de pilote ou de co-pilote ?

Cabinet Lalive : Idéalement, il est préférable d’avoir le contrôle de la joint-venture, si cela est possible, et à défaut d’être le co-pilote. Cela étant dit, certains investisseurs préfèrent demeurer passifs et ce, pour toutes sortes de raisons.

Il existe plusieurs leviers de contrôle au niveau des actionnaires, du conseil d’administration et du management.

À titre d’illustration, les partenaires définissent des règles du jeu en réservant une approbation soit unanime soit à une majorité spéciale (exemple : 75%) pour une liste de décisions spécifiques, dont la négociation peut s’avérer délicate. Cela a pour but de conférer un veto à l’actionnaire minoritaire qui, autrement, se verrait imposer les volontés de l’actionnaire majoritaire.

Toutefois, ces règles de vote ou de veto peuvent déboucher sur une impasse opérationnelle, en particulier si chacun des partenaires a égalité de voix (50/50).

Il est donc aussi prudent d’organiser un mode de résolution des différends : par exemple, une escalade au niveau des CEOs des partenaires, des options de cession (put option) ou d’achat (call option) de ses parts par l’autre partenaire, la « roulette russe », etc.

Qatar Actu : Comment organiser les conditions de sortie de la joint-venture, ce qui est un sujet délicat à négocier lors du rapprochement des partenaires ?

Cabinet Lalive : Le partenaire majoritaire souhaite typiquement bénéficier d’une option d’achat des parts du minoritaire. De même, ce dernier peut exiger une option de vente de ses parts dans certains scénarios bien définis.

Se pose la question de la valorisation des parts à transférer, du « juste prix » (« fair value »), en l’absence de valeur objective de marché telle qu’un cours de bourse pour des actions cotées.

Qatar Actu : Comme nous sommes au Qatar, pouvons-nous parler du sujet toujours d’actualité de l’accord de parrainage (« sponsorship ») selon le droit du Qatar ?

Cabinet Lalive : Diverses rumeurs ont fait état de la volonté du Qatar de mettre un terme à cette obligation, particulièrement dans le cadre d’un encouragement à l’investissement étranger et d’une modernisation du droit qatari liés à la Coupe du Monde de la FIFA 2022. Malgré ces rumeurs et les efforts déployés par le Qatar à bien d’autres niveaux, la règle subsiste toujours. Cela étant dit, cette règle est loin d’être insurmontable, dans la mesure où un partenaire étranger et son partenaire qatari peuvent très bien s’entendre sur une répartition des bénéfices et un mécanisme de contrôle des décisions qui soient différents de la règle de base. C’est là qu’un investisseur doit être bien conseillé !

Entretien recueilli par Iohann Le Frapper

 

NB : Une joint-venture est une entreprise commune créée par deux entreprises ou plus, lesquelles mettent en commun des ressources pour un projet spécifique ou pour un partenariat sur le long terme. Les joint-ventures correspondent à la pratique des investissements étrangers la  plus couramment rencontrée au Qatar du fait de l’environnement réglementaire.

 



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