
L’ambassadeur de France au Qatar, Jean-Christophe Peaucelle, a ouvert les portes de son bureau à Qatar Actu pour parler des relations bilatérales, des priorités de l’ambassade pour l’année à venir et de la semaine de la francophonie. Monsieur l’Ambassadeur a tout particulièrement insisté sur la nécessité pour les ressortissants français présents sur le sol qatarien de s’inscrire au Consulat.
Qatar Actu : Quel est votre parcours Monsieur l’Ambassadeur ?
Jean-Christophe Peaucelle : Je suis Ambassadeur de France au Qatar depuis septembre 2011, après une carrière diplomatique qui commence à avoir un peu d’ancienneté, puisque je suis entré au ministère des Affaires Étrangères en 1987. J’ai d’abord fait des études d’ingénieur, un peu de philosophie et des sciences politiques. J’ai ensuite passé le concours de l’École Nationale d’Administration (ENA) et intégré le Quai d’Orsay.
J’ai occupé plusieurs postes dont la plupart dans la région. J’ai ainsi été rédacteur à la direction de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient de 1990 à 1992, puis Consul Général adjoint de Jérusalem qui est une représentation diplomatique de plein exercice auprès des palestiniens. J’ai également occupé tour à tour le poste de numéro deux de l’Ambassade à Téhéran, Consul Général à Istanbul et directeur adjoint de l’Afrique du Nord de 2009 à 2011, juste avant de venir à Doha.
J’ai en outre pris en charge certains dossiers quand j’étais au Quai d’Orsay. J’ai ainsi participé à la négociation de l’accord de Schengen de 1987 à 1990. Par ailleurs, pendant trois ans, j’ai occupé le poste de sous-directeur de la stratégie à la direction générale de la coopération et du développement. En 2008, j’ai été chargé de la présidence française de la Commission européenne sur les questions migratoires.
Ajoutons à ce panorama que je suis marié et j’ai quatre enfants.
Qatar Actu : Quels sont les différents services de l’Ambassade ?
Jean-Christophe Peaucelle : L’Ambassade de France à Doha est une représentation qui dépasse la taille moyenne, et qui dispose donc de tous les services d’une ambassade, placés sous l’autorité de l’Ambassadeur.
Citons tout d’abord la chancellerie politique qui coordonne, fait l’analyse politique et traite des relations bilatérales. Le service de presse lui est rattaché.
Le service économique est quant à lui chargé de faire l’analyse de la situation économique du pays, de promouvoir les entreprises françaises, de les aider et d’attirer les investissements en France. À côté de ce service, une antenne d’UBI France a ouvert ses portes à Doha au sein de l’ambassade, en 2011. Elle est chargée de la promotion des petites et moyennes entreprises.
Le service de coopération et d’action culturelle s’occupe pour sa part des lycées, de la coopération scientifique, universitaire et culturelle. Il gère également l’Institut Français. Cette institution est ouverte au public et dispense des cours de français. L’institut dispose en outre de la plus grande médiathèque francophone du pays. N’oublions pas également la coopération audiovisuelle avec Qatar Media Corporation qui diffuse la radio bien connue, OryxFM.
L’ambassade de France à Doha possède, par ailleurs, une mission militaire avec un attaché de Défense, un attaché d’Armement et des officiers qui sont coopérants dans les forces armées qatariennes. Nous avons un service de sécurité intérieure dirigé par un colonel de gendarmerie chargé de la coopération avec le Qatar en matière de sécurité civile et de police. Nous avons également un magistrat de liaison chargé de la coopération judiciaire.
Enfin, le consulat, premier service avec lequel les ressortissants sont en contact, est chargé d’administrer et de protéger la communauté française. Il fournit les services classiques de renouvellement de passeports, cartes d’identité, bourses scolaires, élections, visas…
Qatar Actu : Quel est l’état des relations entre la France et le Qatar ? Quels sont les principaux accords bilatéraux ?
Jean-Christophe Peaucelle : Ces relations sont très denses, anciennes, profondes et solides. Anciennes, car depuis 1971, date de l’indépendance du pays, la France et le Qatar ont noué des relations très fortes qui correspondaient à un intérêt réciproque. Le Qatar, jeune pays, sortait de la tutelle britannique, et voulait par conséquent diversifier ses relations et ses partenariats. La France quant à elle a toujours eu une politique proactive en méditerranée et dans le monde arabe. Nous étions donc faits pour nous rencontrer et nous entendre. Au fil des années, nos deux pays ont consolidé leurs relations qui se sont solidifiées et devenues essentielles pour l’un et l’autre des partenaires. Elles ont ainsi aujourd’hui des débouchés dans tous les domaines possibles, et en particulier dans le domaine politique et de la sécurité où nos relations sont très denses, notamment dans la gestion des crises régionales.
La coopération dans le domaine de la défense est également importante – beaucoup de matériel de l’armée qatarienne sont d’origine française-. Le partenariat économique est aussi conséquent. La France est l’un des trois pays où les investissements qatariens sont les plus importants. En outre, nos entreprises occupent des parts de marché significatives au Qatar, même si elles sont insuffisantes et que nous essayons d’ailleurs de les augmenter.
Dans le domaine de la culture, la population qatarienne, et tout particulièrement les élites, ont une attirance pour la culture et la langue françaises : Son Altesse l’Émir est francophone ; le Qatar est entré dans l’Organisation internationale de la francophonie en 2012 et je constate tous les jours une très grande demande de langue et de culture françaises. Le défi pour nous n’est pas de susciter la demande mais de nous mettre en état d’y répondre.
Nous avons beaucoup d’accords qui régissent notre coopération. Permettez-moi d’en citer deux : le premier, l’accord de coopération culturelle et technique qui est ancien, mais qui est rédigé de manière tellement large qu’il nous ouvre un champ de potentialité quasiment inépuisable. S’il a été rédigé de cette façon, c’est qu’il traduisait bien la volonté des deux pays de couvrir tous les domaines.
Pour donner un autre exemple, en juin 2013, lorsque le président de la République François Hollande est venu à Doha, nous avons signé un accord de coopération diplomatique. C’est très nouveau. Nous avons des accords avec beaucoup de pays pour la formation des diplomates, nous avons parfois des accords pour travailler sur les archives diplomatiques, l’aide au développement, la représentation d’un État dans un pays tiers. Ici, nous avons un accord global. C’est cela qui est très nouveau. Il couvre tous ces domaines. On peut ainsi décliner un certain nombre d’actions dont la formation initiale et continue des diplomates. L’ENA, par exemple, est en train de discuter avec le ministère qatarien des Affaires étrangères pour la formation des diplomates.
Nous pouvons également agir dans le domaine du développement. La France est très présente en Afrique et le Qatar s’y intéresse aussi beaucoup. Nous pouvons avec un instrument de ce type, d’autant que le Qatar est devenu francophone, apporter un soutien aux pays Africains ou à d’autres États en voie de développement.
Prenons un dernier exemple, l’accord signé l’année dernière avec la Caisse des Dépôts et Consignations française et le fonds souverain qatarien pour créer un fonds d’investissement commun de 300 millions d’euros destiné à financer des PME françaises. Celles-ci n’ont souvent pas atteint la taille critique pour faire l’objet d’investissement étranger et ont du mal à conquérir les marchés internationaux, en raison des charges trop élevées par rapport à leurs coûts de fonctionnement. Voici un accord qui illustre bien le degré de partenariat qu’il y a entre nous, mais il y en a encore d’autres, citons celui signé en 2013 sur le lycée Voltaire.
Qatar Actu : Quelles sont vos priorités pour 2014 ?
Jean-Christophe Peaucelle : Elles sont difficiles à énumérer, car nos relations sont tellement riches que nous devons les faire fructifier dans tous les domaines.
Notons que nous sommes néanmoins dans une période de l’histoire du Qatar particulière et cruciale avec la mise en œuvre du grand projet d’exploitation et d’exportation du gaz naturel liquéfié. Le Qatar a atteint aujourd’hui un potentiel économique considérable, avec beaucoup d’ambition, de volonté et de vision. La vision 2030, qui a été fixée par l’Émir père, Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, repris aujourd’hui par l’Émir Tamim ben Hamad al-Thani, engendre de très grands projets pour moderniser le pays. D’abord le projet de la coupe du monde de 2022, mais pas seulement. S’il n’y avait pas la coupe du monde, le Qatar se développerait de toute façon, mais cet évènement donne une limite temporelle, obligatoire, ce qui renforce la pression. Notre priorité est que dans cet immense chantier que représente le Qatar dans les dix ans à venir, les entreprises françaises trouvent leur place, conformément à l’excellence qui les caractérise. Il ne s’agit pas pour nous de dire, comme nous sommes amis, il faut nous réserver des contrats. Cela ne marcherait pas ! Il s’agit pour nous de faire en sorte que l’excellence de nos technologies, de notre expertise, de nos savoir-faire puissent être reconnus dans les appels d’offres qui seront lancés ici. Nous souhaitons que les entreprises françaises participent, à la hauteur de leurs qualités, au développement du pays. Ce sera évidemment excellent pour la France puisque ce type de collaboration générera des créations d’emplois. De la même manière, cela sera très bon pour le Qatar qui n’aura qu’à se féliciter d’avoir recours aux technologies françaises.
À partir de là beaucoup de choses en découlent. J’en citerais un exemple, la communauté française augmente et j’espère qu’elle continuera à augmenter, car si nous remportons des contrats, forcément des collaborateurs d’entreprises viendront les mettre en œuvre. Nous avons pour priorité de nous mettre en ordre de marche à l’Ambassade pour accueillir cette communauté française.
Qatar Actu : Combien de personnes la communauté française compte-t-elle ?
Jean-Christophe Peaucelle : Elle compte environ 4 000 personnes immatriculées à l’Ambassade. Un peu plus en ajoutant celles qui ne sont pas immatriculées. Je saisis cette occasion pour transmettre un message à tous les ressortissants français : il est très important de s’inscrire à l’ambassade. C’est facile, cela peut se faire par Internet et cela ne rapporte que des avantages.
C’est important pour nous de connaître notre communauté et de pouvoir la planifier, si l’on réfléchit par exemple à l’avenir des lycées, de l’offre scolaire française, à l’effectif du personnel de l’ambassade. C’est aussi un moyen de savoir qui sont les Français. Pour moi, ce ne sont pas des numéros. J’essaie de connaître la communauté et de savoir qui ils sont, auprès de qui ils travaillent, quelle est leur expérience ? Je ne peux pas contribuer à animer cette communauté sur le plan humain si je ne la connais pas.
En termes de sécurité également, bien que le Qatar soit un pays très sûr, on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve. Si nous avons besoin un jour de mettre en place un dispositif de sécurité, je ne peux pas le faire pour des ressortissants qui ne se sont pas manifestés. Je conseille donc à l’ensemble de la communauté française, et en particulier aux familles, d’effectuer cette formalité sans la reporter à demain.
Qatar Actu : Des visites de dignitaires sont-elles prévues dans les mois à venir ?
Jean-Christophe Peaucelle : Il y a toujours un flux plus ou moins ininterrompu de visites. Il y a celles programmées, celles envisagées et d’autres dont on ne parle pas aujourd’hui mais qui peut-être auront lieu. Il y a beaucoup de visites dans les deux sens.
Depuis le début de l’année, nous avons eu à Doha la visite de madame Hélène Conway Mouret, ministre déléguée auprès du ministère des Affaires étrangères chargée des Français de l’étranger, monsieur Jacques Lang, président de l’Institut du Monde Arabe, monsieur Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Beaucoup de hauts fonctionnaires se sont aussi déplacés au Qatar, à l’instar du directeur des relations internationales de l’ENA.
Dans l’autre sens également le flux de visite est important. La ministre des Technologies, de l’Information et des Communications Dr. Hissa Al-Jaber s’est ainsi rendue en France et au moment où je vous parle, le ministre des Affaires étrangères, M. Khaled al-Attiyah se trouve à Paris.
Qatar Actu : Pouvez-vous nous en dire plus sur la semaine de la francophonie qui s’annonce ?
Jean-Christophe Peaucelle : La semaine de la francophonie a un peu été célébrée l’année dernière. Elle le sera plus cette année. On a voulu donner plus d’éclat, à cette manifestation, maintenant que le Qatar est membre associé de l’Organisation internationale de la Francophonie. Avec les ambassades du Canada, de Belgique et de Suisse, nous avons pris l’initiative de proposer une programmation conjointe qui a bénéficié, et je les en remercie, du soutien très actif du ministère de la Culture, des Arts et du Patrimoine de l’État du Qatar.
Dès lors que le Qatar fait partie de la francophonie et a ce goût pour la francophonie, je souhaitais beaucoup que ce ne soit pas simplement les ambassades francophones mais que ce soit les francophones, et donc le Qatar aussi. Nous avons reçu le meilleur accueil possible du Dr. Hamad Ben Abdulaziz al-Kuwari, le ministre.
La programmation est très riche. Il y aura beaucoup d’évènements dans les domaines de la musique et de la chanson. Il y en aura aussi dans le domaine de la littérature avec par exemple la publication de la traduction en arabe du « Roman de la rose », un grand texte de la littérature médiévale française, ou encore une conférence littéraire sous la forme de regards croisés sur l’amour courtois médiéval en France et le ghazal, la poésie médiévale arabe. On aura des visites en français des grands musées qatariens, mais aussi une rétrospective du cinéma de Jacques Tati. Et bien d’autres évènements encore que nous vous invitons à découvrir en consultant le programme.
Je suis très heureux que nous puissions proposer cette semaine de festivité à la communauté francophone du Qatar.
Propos recueillis par Patricia Gendrey et Karine Jammal
Categories: Francophonie
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